Durée : du samedi 19 avril au jeudi 24 avril 2025.
Discipline : ski alpinisme
Lieu : Hautes-Alpes
Encadrants : Alexis COURNET / Alexandre REZE
Participants : Jordi, Marin
Conditions météo : globalement beau, vent.
Conditions nivo : risque 4 basculant vite sur risque 3 puis 2 stable pour la semaine. Importante tombée de la neige la semaine précédente (plus de 1m 50cm).
Itinéraire :
Tour de la Meije depuis La Grave (05).
J1-Montée au refuge Villar de l'Alpe d'Arêne puis Pic Pradieu
J2-Refuge de l'Alpe - Col du Clos des Cavales - Refuge de l'Alpe
J3-Refuge de l'Alpe - Refuge Adèle Planchard
J4-Refuge Adèle Planchard - Pointe Brévoort de la Grande Ruine -Col des Neiges - Col de la Casse Déserte - Refuge du Promontoire
J5-Refuge du Promontoire - Brèche de la Meije - Passage Serret du Savon - Refuge Aigle
J6-Refuge Aigle - Glacier de l'Homme
Descriptif général :
« Cette fois, je partais dans le Blanc. Et je comptais sur la couleur substantifique pour me pourvoir de joie. Le séjour dans les paysages de neige est une saignée de l’âme. On respire le Blanc, on trace dans la lumière. Le monde éclate. On se gorge d’espace. Alors, s’opère l’éclaircie de l’être par le lavement du regard. » Blanc, Sylvain Tesson.
J1-Montée au refuge Villar de l'Alpe d'Arêne puis Pic Pradieu
Ces mots salvateurs de Sylvain Tesson sont un appel à un long et profond voyage vers le Blanc. Mais à l’image des caprices de cet hiver marqué par des tempêtes et des chutes de neige régulières, les prévisions météo et nivologiques pour notre semaine de raid ne s’annoncent guère rassurantes. Après avoir étudié moultes plans alternatifs, le ciel semble finalement être avec nous. Un risque 4 est affiché mais celui-ci est annoncé comme devant évoluer vite vers un risque 3 puis 2 dès le dimanche et le reste de la semaine. Nous décidons ce jeudi soir de confirmer notre projet de tour de la Meije en ski de randonnée qui commencera dès le surlendemain.
Après avoir passé la nuit dans le village charmant de La Grave, nous prenons la direction du parking de Villar d’Arêne. Alex, Jordi, Marin et moi sommes un groupe de petite taille afin de conserver une homogénéité de compétences et d’expériences, gage de réussite pour notre projet.
L’air vif nous enveloppe de ses bras frais et le ciel clair nous dévoile les aspérités multiples de la vallée qui nous conduit au refuge. Après un arrêt au bâtiment de pierre, nous nous élançons vers le Pic Pradieu afin de profiter d’une première bonne neige. De là, il nous est possible de repérer l’itinéraire envisagé du lendemain, à savoir le Pic Neige Cordier avec une nuit de l’autre côté de celui-ci, au refuge des Ecrins. L’idée est de rebasculer le surlendemain par le glacier des Agneaux via le col Emile Pic. Depuis notre point de vue, nous comprenons assez vite que les couloirs sont rembourrés d’une neige pulvérulente et volumineuse, fortement accidentogène. Le passage par le col Emile Pic s’annonce prodigieusement long à gravir et la descente du glacier des Agneaux non moins engagée par ces conditions nivologiques. Nous annulons notre nuitée au Refuge Ecrins et profitons de l’ambiance conviviale du refuge Villar de l'Alpe d'Arêne pour deux nuits.
J2-Refuge de l'Alpe - Col du Clos des Cavales - Refuge de l'Alpe
Un grand air vient cingler nos visages dès la sortie du refuge semi endormi et quelques flocons de neige aiguayent le paysage matinal. Chacun se met dans sa bulle mentale et avance en direction du refuge du Pavé. Nous rattrapons un groupe guidé par des professionnels, et bientôt obliquons vers le col du Clos des Cavales.
Les cent derniers mètres sous le vent et en dessous du col ne se laissent conquérir facilement. Une épaisseur de près d’un mètre de neige scintillante et légère nous retient à chaque avancée. Nous nous relayons de manière solidaire et bonhomme pour venir à bout de cette belle pente. Depuis le col raide et vertigineux, nous lançons notre regard ému de petits être en direction du Pic du Pavé, du Pic Gaspard sur notre gauche et de la Pointe Brevoort de la grande Ruine sur notre droite que nous ascensionnerons le surlendemain. La beauté de la descente est proportionnelle à la hardiesse de l’effort de la montée.
J3-Refuge de l'Alpe - Refuge Adèle Planchard
Nous commençons à proprement parler notre sarabande avec la Meije et enroulant notre pas en direction du refuge suspendu et esseulé d’Adèle Planchard. Les cimes austères et immenses se dressent autour de nous. Nous glissons sur une neige crème de printemps avant de poser nos skis au pied du refuge rénové et splendide.
J4-Refuge Adèle Planchard - Pointe Brévoort de la Grande Ruine -Col des Neiges - Col de la Casse Déserte - Refuge du Promontoire
Nous partagerons la trace avec un binôme de skieurs. Ce matin, une couleur miel enrobe les lances de pierres autour du refuge. La pente esthétique qui nous sépare de la pointe Brevoort de la Grande Ruine s’offre à nous. L’attaque finale n’est autre qu’un couloir profondément chargé de neige légère et, à l’instar du col d’hier, et nous demande de déployer un trésor d’énergie pour accéder au faît du sommet.
Notre regard balance entre les deux divinités des lieux qui se font face, d’un côté La Barre des Ecrins blanche et étincelante et de l’autre La Meije brune et rocheuse.
Nous dégustons un ski extatique sur une pale de neige presque vierge jusqu’au col des Neiges. Ce col nécessite de passer une petite arête esthétique et oblige à une désescalade agréable. Nous rechaussons nos skis en direction du col de Casse Déserte. Au vu de l’épaisseur de neige, les conversions restent pertinentes jusqu’à mi couloir.
Nous finissons à pied les derniers cent mètres de ce couloir comptant parmi les passages obligés du raid. Du col, nous plongeons délibérément dans un paradis blanc de glisse offrant une neige froide et profonde à nos spatules avides. Chacun dessine une courbe personnelle cunéiforme et subtile sous le regard austère des faces minérales acérées. La partie finale n’offre pas une lecture aisée car de nombreuses petites barres interrompent la continuité du manteau neigeux. Vitesse et discernement, un équilibre subtil à respecter.
Nous repotons non loin du refuge de Chatelleret en direction du refuge du Promontoire. S’il est possible de le toucher du regard et d’en distinguer presque les bières fraîches que Sandrine, la gardienne du refuge, nous a mis de côté pour l’apéro du soir, le refuge accroché au caillou est diablement loin. La chaleur et la fatigue étirent les distances entre les membres du groupe. Mais tout le monde arrive à bon port.
J5-Refuge du Promontoire - Brèche de la Meije - Passage Serret du Savon - Refuge Aigle
Nous sommes au plus près de notre corps à corps avec la divine Meije. Ce matin, nous glissons par la brèche éponyme. La neige est dure et nécessite l’usage des couteaux. Rapidement, nous arpentons le couloir d’accès à la brèche. Nous nous encordons pour ce raidillon bien que débonnaire. Arrivés au col, un vent violent manque de nous faire flancher. La face de descente étant constituée d’un ensemble retors de pierres, de gangue de glace et de neige soufflée, le rappel est bien approprié. Après cette manipulation rendue délicate par une longueur de corde tout juste « acceptable », nous nous encordons de nouveau mais cette fois-ci afin de nous sécuriser dans la descente.
Nous avançons de manière contrôlée entre les premières crevasses qui jalonnent notre itinéraire. Soudain nous passons de la lumière du ciel à l’ombre écrasante de la face nord de la Meije. Nous avançons avec sérénité en évitant les fissures de glace bien visibles. Bientôt, nous traversons le passage exposé en contre bas des grands seracs. Il s’agit d’un amphithéâtre de pierre et de glace, grandiose, immense, et solitaire.
Nous pressons le pas afin de trouver refuge à la base du célèbre passage du Serret du Savon. Nous gravissons les 300 mètres de celui-ci sans trop de difficulté technique. A la sortie de celui-ci, nous gardons la ligne de niveau, toujours encordés, en direction du refuge de l’Aigle.
Une brume épaisse et déboussolante occupe progressivement et rapidement les airs et nous sommes tout aussi heureux que soulagés de rallier le célèbre bâtiment. Le chauffage flambant neuf n’est pas opérationnel car il dépend du soleil qui, hélas, ne s’est pas montré aujourd’hui. Pas de possibilité de faire sécher ses affaires ni de se réchauffer. Le confort sera à rechercher en vallée.
J6-Refuge Aigle - Glacier de l'Homme
Le vent a soufflé toute la nuit durant et continue de frapper tout le relief de ses bourrasques. Nous abandonnons l’idée de réaliser en aller/retour la Meije Orientale, car les crêtes fument littéralement.
Fort heureusement, aucune neige n’est tombée pendant la nuit. Nous bénéficions d’un lever de soleil amical qui nous permet de distinguer les crevasses en rive du glacier de l’Homme, célèbre pour son chaos glaciaire.
Après une descente en dérapage du col, l’un d’entre nous effectue ses premiers virages avant de générer le déclenchement d’une petite plaque à vents. Aucun ensevelissement constaté mais une blessure sévère au genou. Le groupe se retrouve autour du blessé et organise sereinement l’arrivée des secours par les airs.
Quelques heures plus tard, tout le monde se retrouve à Briançon pour boire le coup de l’amitié. Même si le dénouement de notre séjour n’est pas celui que nous avions naturellement imaginé, nous célébrons notre périple blanc classique, mais tout de même audacieux et sublime.