Il est des sommets lointains aux noms improbables dont on parle parfois comme des étoiles inaccessibles et où on ne va jamais… et pourtant, ces sommets nous attirent comme les aimants exercent leur force d’attraction sur une aiguille sur une table de verre.

 
Parmi, ces sommets, le Pic de Thou tient une place de choix.
Ce n’est pas un sommet spectaculaire comme la Munia où le Batoua mais c’est un sommet reculé, difficile d’accès que quelques rares équipes parviennent à rejoindre certains hivers.
Difficile d’accès, car, il faut partir des fonds de vallée, des villages. Aucune route, aucune piste ne nous permet de s’en rapprocher. 
Difficile d’accès, car, il n’ y a pas de larges vallons pour rapidement s’y rendre, de belles pentes pour promptement prendre de l’altitude.
Difficile d’accès, car, il faut, soit arpenter des forets denses aux pentes raides, soit braver des pentes déversantes exposées aux coulées et surplombant des falaises.
Et pourtant, il ne s’agit nullement d’un sommet austère, ennuyeux, à la vue limitée par des contreforts sinistres.
Non, il s’agit d’un sommet changeant, intriguant, au panorama inédit, aux pentes douces et accueillantes, nous offrant comme cadeau de bienvenue près de 2000 m de descente agréable et variée. Une descente qui nous permet de revisiter tous les fondamentaux du ski de montagne: pentes raide, pentes larges, petits couloirs, talwegs, vallons en demi tube (half-pipe) ski en clairière, ski en forêt, le tout, le plus souvent au soleil rasant….
C’et donc un sommet rare, qui ne laisse surement pas indifférent mais dont on doit soigneusement étudier l’approche et apprécier les conditions météo avant d’en envisager l’ascension.
 
Cette sixième sortie consécutive de cette semaine exceptionnelle se prêtait à une telle expérience. 
La neige était stabilisée et elle restait abondante jusqu’à Tramesaygues où la route était d’ailleurs coupée. Après la sortie collective de la veille au cours de laquelle nous n’avions fait « que" 1400 m, la forme était là et le moral était bon. Seul bémol, du vent du sud pouvant être fort était annoncé ainsi que des passages nuageux mais aucune précipitation n’était à craindre.
La proposition, puis la décision de retenir cet objectif a rapidement fait l’unanimité.
Pour permettre au plus grand nombre de personne de tenter l’aventure et notamment aux trois encadrants de rallier ce sommet, il fut décidé, qu’une fois de plus, nous ne ferions qu’un seul groupe mais que bon nombre des excursionnistes re-descendrait dès le sommet du Cap de Laubère atteint car il n’était pas envisageable de rejoindre le Pic du Thou avec une petite troupe de près de 17 personnes.
Il nous fallait partir tôt, marcher d’un bon train et ne point perdre de temps dans des pauses trop longues.
Il nous fallait aussi envisager une navette car … les véhicules seraient laissés à Ens, mais, il n’était pas souhaitable d’envisager un retour vers ce village en raison d’une pente que je qualifierais modestement de … délicate, voire chatouilleuse, le risque étant qu’elle se mette à éternuer à notre passage. On pourra la prendre par surprise mais elle nous attendra au retour …. et là…mieux vaut avoir une bonne étoile.
La frontale que nous ne souhaitions pas utiliser faisait bien sûr partie du matériel de fond de sac.
 
Vendredi matin, lever à 6 h 45, départ d’Ancizan à 8 h. Départ d’Ens, ski au pied à 8 h 45 après une trop longue attente à la boulangerie pour le ravitaillement en sucre lent et en céréales.
Le groupe est compact et le rythme est rapide.
Aucune pause ne sera observée au lac de la Coume…ni au début du grand vallon sous le Cap de Laubère.
Le soleil est franc et massif mais, peu à peu, la bise se lève d’abord au raz du sol puis, petit à petit, jusqu’à plusieurs mètres au-dessus.
Les corps se courbent pour encaisser la pression mais le rythme ne fléchit pas.
La trace s’efface peu à peu mais le cap reste bien en tête. Rarement, on aura vu un groupe aussi compact marcher avec un tel entrain. De loin, on aurait pu croire à une troupe répondant à l’appel de la patrie pour sauvegarder de fragiles frontières…
Le Cap de Laubère apparait, plâtré, vitrifié… Il est encore loin mais le Pic du Thou est bien plus loin encore…
Le spectacle de cette montagne vivante est magnifique 
Le vent forcit et des écharpes de nuages courent dans un ciel bleu électrique.
Le Pic de Sarrouyes qui domine les lieux fume comme un 8000 himalayen, le sol semble devenir liquide, imprécis, quantique…mais qu’importe, nous avançons. Les jambes répondent à nos sollicitations; le souffle est ample. Nous parlons peu.
Après une courte pause, nous voilà sous le col du Cap de Laubère où la bise se transforme en blizzard bien décidé à nous repousser vers la vallée.
Il aura presque gain de cause car une demi-douzaine de nos comparses décidera d’orienter leurs spatules vers Ens, sans même gravir le Cap de Laubère.
Pour les autres, une première traversée sous le sommet, sans grand risque, nous permet de rejoindre des havres ensoleillés et à l’abri des bourrasques. Un ravitaillement s’impose.
 
Quelques mètres plus loin, le crux ! 
Une pente, longue, large, raide, déversante, menaçante défend l’accès à la vallée de Consaterre.
Cette pente est vraiment à prendre au sérieux, plus que ce que n’en laisse présager certains guides un peu évasifs à son sujet. En effet, elle est dominée par plus de 100 m de neige potentiellement plaquée, avec une raideur de l’orde de 35 ° et elle surplombe des ruptures que l’on devine sévères avec une succession de mini barres rocheuses bordées par des sapins décharnés.
Pour envisager de la traverser, il s’agit de la comprendre, de l’apprivoiser, de la dompter et donc de prendre les meilleures décisions. 
Stop ou… encore ? A pied ou à ski ? Avec les peaux ou sans les peaux ? En position montée ou en position descente? Dois-je sortir la corde ou sortir les crampons ?…. Si je passe, les autres passeront’ils ?… Au milieu de la traversée, est ce que je pourrais revenir ? Qu’est ce qu’il y a à manger ce soir ? Où sont mes enfants ? que font’ils en ce moment ?
Bref, milles questions, milles doutes et une décision, je progresse, lentement, légèrement, prudemment…. une décision valable quelques mètres avant de tout remettre en cause : stop ou… encore… 
…et c’est étape par étape que l’on se rassure, que l’on avance, que l’on traverse.
 Au bout de la traversée, ça ne passe pas : un ravin de quelques mètres coupe la progression.
Il faut descendre plusieurs dizaine de mètres pour rejoindre un goulet qui nous permettra enfin de nous mettre à distance.
Il faut se résoudre enchaîner quelques virages au dessus de barre rocheuses sur une neige bien dure mais encore un peu accrocheuse. Chute interdite !
Les autres membres du groupe suivent avec beaucoup de distance sans parfois se douter que la situation ne réunit pas toutes les normes de confort que l’on pourrait souhaiter mais, le doute et l’inquiétude appartient surtout à celui qui ouvre la voie. 
Une certitude : on ne tirera pas deux fois, aujourd’hui, les moustaches du tigre. Il n’y a pas de retour possible par cet itinéraire.
 
Après une pause pour boire un peu de thé chaud, nous reprenons notre périple vers le Pic du Thou. Il nous reste près de 800 m à gravir alors que le vent que nous avions oublié pendant la traversée se rappelle à notre attention..
Des nuages masquent le soleil et le relief se fond dans une lumière laiteuse. Nous espérons néanmoins un futur plus prometteur.
En effet, la couverture se déchire et des poches de ciel bleu puis des pans entier du ciel virent à l’azur froid et profond.
Nous croisons le toit d’une cabane de berger, ensevelie. On devine l’espace clôt sous ce toit condamné au froid et à l’obscurité pendant de trop longs mois avant que le berger ne vienne, à la fin du printemps, ramener vie et chaleur.
Le soleil est de plus en plus présent. Le vent aussi.
Les pauses sont courtes et nous rejoignons rapidement au dessus de 2300 m, les lacs de Consaterre que l’on devine à peine, enfouis sous un épais manteau de neige.
Nous remontons un vallon suspendu qui court à la gauche des lacs. Thierry reçoit un appel de la vallée. Tiens, le téléphone passe en core ! C’est nos compagnons qui sont arrivés tranquillement à Ens après avoir fait une descente paisible, une pause repas digne de ce nom, au soleil et à l’abri du vent, et qui se proposent de nous attendre à Tramesaygues…. Des amours de dévouement.
De notre côté, le vent dans le nez, nous avançons vers le Pic du Thou qui semble, à chaque pas , s’éloigner un peu plus…
Derrière nous, une montagne surgit tout à coup. C’est la montagne de Consaterre qui prend une dimension monumentale, une fois au soleil. Une belle perspective.
Il fait froid. Nous sommes tous bien couverts. Stéphane et Serge ne quittent plus leur masque, un des rares endroits de calme et de chaleur dans l’environnement proche. Essayez ces nouveaux masques larges, spacieux, lumineux et anti-buée… C’est quelque part un tout petit « chez soi », bien à l’abri des éléments extérieurs. Pour ma part, j’ai laissé le mien à Ancizan…
Nous finissons par arriver au fond du vallon vers 2600. Devant nous se dresse enfin, le mur final du Pic de Thou. Je dis enfin, car à force de reculer devant notre progression, le Pic du Thou s’est retrouvé coincé par le Lustou qui se dresse juste derrière. Nous allons pouvoir arpenter ses derniers 150 m de rempart.
La neige est cartonnée, le vent un peu moins fort.
L’heure avance et il est maintenant 15 h passées. Nous devons absolument entamer la descente à 16 h car, il n’est pas question de traverser la forêt du vallon du Rioumajou de nuit.
Après avoir tous mis les couteaux, Serge et moi, nous nous portons aux avant postes, nous relayant pour tracer. Le reste du groupe suit à distance.
Juste sous le sommet, un différent d’itinéraire se dessine. Serge préfère passer à gauche pour rejoindre une arrête dont on ne sait si elle est praticable à ski. Pour ma part, j’opte pour un tracé plus direct juste à droite du sommet., mais la pente devient vraiment raide, profonde, peut être un peu instable. De plus, il faut faire quelques conversions un peu acrobatiques qui nécessite une technique irréprochable.
Je raidi la pente, prend pied sur un bourrelet durcit par le vent, traverse une vielle plaque à vent qui semble bien ancrée et… me voilà sur la crête. 
Le blizzard me cueille, comme pour me signifier qu’il ne faut pas venir importuner les maîtres des lieux…Je n’en n’ai cure et prolonge mon pas.
Et voilà, voici le monumental cairn qui marque définitivement le sommet.
Serge arrive quelques minutes plus tard. Son choix semblait en définitive un peu moins « physique » mais un peu plus long nécessitant plus de conversion.
Derrière, la raideur de ma trace semble rendre la progression plus malaisée pour Marie et Stéphane. Je déchausse et file, à pied avec Serge les rejoindre pour sécuriser la trace et m’assurer que la vieille plaque à vent ne cèdera pas à leur passage.
J’arrive, je saute à pied joint dessus. Je la transperce à plusieurs endroits. Elle ne bouge pas. 
A coup de chaussure, je la larde d’une belle tranchée qui la rend définitivement inoffensive. La voie est ouverte.
Marie passe la première. Elle est accueillie sur la crête par une formidable bourrasque qui la fait vaciller. Thierry la suit.
Je descend quelque mètres pour encourager Stéphane et faciliter la dernière conversion qui est, je dois l’avouer, un peu athlétique.
Quelques minutes après, nous voilà au sommet, à l’abri du grand cairn.
Autour de nous, le panorama mérite lui aussi le détour, surtout le Pic d’Estos qui nous apparait par la tranche et a un petit air de dent d’Orlu.
Je ne sais pourquoi, mais certains sommets se défendent, se méritent plus que d’autres et, ils procurent, en retour, plus de joie, une joie communicative. Le vent, le froid sont pendant quelques instants totalement occultés….
Oups ! Il est bientôt 16 h et il nous faut penser à redescendre. Nous sommes à 2 800 m et la mairie de Tramesaïgues où nous sommes attendus par Marie Cecile et Patrick est à … 900 m et nous avons une foret abrupte à traverser.
Le froid a gelé quelques fixations. Le problème se réglera à coup de canif. Plus embêtant, une de mes chaussures refuse obstinément le passage en position descente.
Soit. Je ferai la descente en position montée, sans appui arrière. Faut juste bien travailler le positionnement et conduire les skis en appuyant bien sur la semelle dans la chaussure…
Les premiers virages dans la pente raide juste sous le sommet sont un peu… »bizarre» en terme de sensation et de tenue mais…j’ai connu pire.
Heureusement, on s’habitue et les bonnes vibrations reprennent vite le dessus d’autant que la neige est finalement assez bonne voire amicale, pardonnant les fautes de carres, les positions imparfaites. Il y a même quelques rails de poudre qui sont divins pour peu qu’on sache les « renifler » à temps et les enfiler presque en apnée, en petits virages serrés, … Une fois le run consommé, quel extase…
(Mais qu’est ce que je raconte là !….)
Nous dévalons ainsi cette belle pente jusqu’au lac de Consaterre. Il nous faut ensuite traverser vers la droite pour rejoindre un petit col.
Le vent a faiblit. Nous en profitons pour manger un brin, boire du thé chaud et ajuster nos masques.
La neige reste bonne voire excellente. Plus nous descendons, plus nous rencontrons, versant nord, des pans de poudre alors que la dernière chute de neige a maintenant près d’une semaine.
La descente est d’ailleurs esthétiquement remarquable, avec le soleil rasant dans le dos et un parcours soit en pans de neige soit en petits vallons bien relevés de chaque côté.
Nous enchainons ainsi de nombreux « runs » en gardant un rythme soutenu.
Le talweg se resserre et de nombreux sapins parsèment désormais la pente. Nous slalomons sans encombre au milieu,
Vers 1600 m, il nous faut « attraper une clairière qui nous mènera jusqu’à la forêt et au début du chemin d’été.
Sur la carte, tout semble évident… mais sur le terrain, la nature reprend au fil des ans ses droits et, si ce n’est pas encore une forêt, il n’y a plus vraiment de clairière…
Je sors le GPS… Nous sommes tout près. Juste un peu trop à gauche. Demi tour, et nous revoilà sur le bon chemin. 
La clairière apparait à travers la ramure des sapins. Un petit saut au dessus d’un ruisseau et hop, encore quelques virages et nous voilà à 1500 m, à l’entrée de la forêt.
C’est probablement la partie la moins agréable de la descente, mais il vaut mieux en passer par là… qu’aller se risquer vers le Cap de Laubère.
Il n’est pas encore 17 h et la luminosité est encore bonne..
Au début de la forêt, la pente est douce et on ski assez facilement autour des arbres puis, cela se raidi et la neige devient beaucoup plus lourde. Le chemin d’été a disparu et les nombreuses marques sur les sapins nous égarent.
Par où passer ? A droite, à gauche ?
Faisons confiance à l’intuition. 
Nous arrivons au-dessus d’une petite barre d’une dizaine de mètres qui n’est pas marquée sur la carte.
Un petit cheminement par des vires copieusement enneigées se dessine. Nous allons pouvoir passer à ski sans sortir la corde. Une, deux, trois conversions et nous trouvons le ruisseau puis un petit vallon plus adapté à l’enchaînement de virages.
Nous retrouvons ensuite le chemin d’été qui est raide et étroit. Nous pourrons le descendre à petite vitesse en chasse neige jusqu’à ce que les carres raclent l’empierrement du chemin.
Il faut dès lors déchausser mais dès que la pente se fait moins raide, nous pouvons remonter sur les skis et suivre la piste qui s’élargit peu à peu et finit par déboucher sur la route du Rioumajou.
Petit regroupement. Tout le monde est là et personne ne s’est fait mal, malgré les 1900 m de dénivelé et les 2200m de descente.
Il ne nous reste plus qu’à suivre les traces laissées par les raquetteurs qui se sont re-durcit en cette fin d’après midi.
Nous arriverons ainsi jusqu’à la Mairie de Tramesaïgues, bien avant la nuit, sans avoir besoin de déchausser.
Nous sommes accueillis par trois de nos comparses qui nous attendent depuis plus de deux heures, bien au chaud dans une voiture , à deviser sur le sens de la vie.
Voilà.
C’est fini. Une belle et longue virée qui nous laisse de bons et profonds souvenirs, qui renforce le groupe et clôture cette semaine exceptionnelle en terme de qualité de neige et de météo. Je retiendrais également le commentaire de Stéphane qui qualifiera cette descente de « grandiose, à l’égal des meilleurs itinéraires skieurs des grandes stations alpines » qu’il connait bien.
Donc, un sommet lointain, qui se mérite mais qui sait récompenser les ascensionnistes qui lui font l’honneur de lui rendre visite.
 
 
 
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